Le 24/11/2020

Activités agricoles sans chauffeur de tracteur, est-ce possible?

Deux experts du secteur étudient les considérations juridiques et éthiques liées à l'introduction de tracteurs autonomes dans les champs.

Retrouvez nos experts lors de leur discussion croisée au FIRA 2020!

Des salles d'opération aux usines de fabrication de voitures, les robots ont rendu infiniment plus rapides, plus faciles et plus sûres les tâches jusque-là monotones, difficiles et dangereuses. L'essor de l'intelligence artificielle ainsi que d'autres technologies de pointe ont entraîné des changements majeurs dans un large éventail de secteurs. Parmi les secteurs d'activité perturbés, figure l'un des plus anciens au monde: l'agriculture.

Les dernières technologies agricoles ont présenté de nombreux avantages. Les robots de cueillette, de désherbage et de pulvérisation offrent aux agriculteurs de nouvelles possibilités de lutter contre la hausse des coûts de la main-d'œuvre et des intrants, tout en améliorant la sécurité et la qualité de vie des travailleurs. De nombreuses exploitations en pleine croissance sont impatientes d'utiliser ces machines autonomes, mais sont-elles prêtes à en assumer les risques?

Plusieurs questions juridiques et éthiques doivent être prises en compte avant d’introduire des tracteurs autonomes et d’autres nouvelles technologies dans les fermes. En amont de leur intervention au FIRA, le Forum International de la Robotique Agricole, en décembre 2020, Christophe Gossard, Responsable des normes stratégiques pour l'Europe chez John Deere, et Andrea Bertolini, avocat spécialisé dans la robotique, explorent ce que cela implique à grande échelle d'utiliser ces machines.

Prendre en compte la sécurité des produits

L'une des principales préoccupations liée à l'introduction de technologies autonomes est la sécurité. Les tracteurs autonomes doivent pouvoir se déplacer dans les champs sans mettre en danger les travailleurs humains. Pour cela, plusieurs cadres qui abordent cette question sont établis.

«Aujourd'hui, en Europe, le nouveau cadre législatif est un atout pour l'industrie mécanique», affirme Gossard. «Grâce à l'auto-certification et à la conformité aux exigences essentielles soutenues par des normes harmonisées, les fabricants d'équipement d'origine (OEM) sont capables de proposer aux utilisateurs des équipements sûrs et fiables. L'une des principales pierres angulaires de cet écosystème est la Directive Machines (2006/42 / CE). »

Les leaders de l'industrie se posent les bonnes questions, même si ce cadre devrait être mis à jour ou révisé pour inclure de nouvelles avancées comme les dispositifs de l'Internet des objets (IdO ou IoT de l'anglais), les systèmes de contrôle à distance et les véhicules autonomes. À bien des égards, ce défi n'est pas complètement nouveau.

«Les mécanismes associés aux conditions essentielles de santé et de sécurité et aux normes harmonisées aident à maintenir des exigences élevées en matière de sûreté et de sécurité et, en même temps, à protéger le fabricant contre d'éventuels litiges», déclare Gossard, qui note également que ce cadre protège les consommateurs contre les produits dangereux en créant des règles relatives à la conformité des produits. «L'éthique entourant les tracteurs sans conducteur devrait être soutenue par ce cadre.»

Prendre en compte la loi

Tout comme les agences gouvernementales établissent des réglementations qui dictent les normes d'utilisation des pesticides et des émissions de gaz à effet de serre, les décideurs politiques devront élaborer des lois qui traitent des questions liées aux technologies agricoles. Ce n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît.

Selon Bertolini, même la notion d'autonomie nécessite une réflexion critique. Sur le plan juridique, il n'existe pas de solution universelle. Cela a du sens si l'on observe un aspirateur autonome comme le Roomba.

« Le Roomba est autonome, mais il ne soulève aucun problème d'ordre juridique ou éthique », explique Bertolini. «Les lois que nous avons aujourd'hui sont très bien pensées pour gérer l'aspirateur autonome. Lorsqu'il s'agit de véhicules sans conducteur, c'est une toute autre affaire. Ils circulent dans l'espace public. Il ne s'agit pas seulement de la dimension autonome; c'est la dimension autonome dans l'espace public qui change la donne. »

Les tracteurs autonomes peuvent sembler similaires aux voitures sans conducteur, mais ils nécessitent eux aussi des solutions adaptées. Selon Bertolini, il est tentant d'essayer de réglementer toutes les technologies en fonction des buzzwords correspondants, ces mots très en vogue tels que «autonome» ou « intelligence artificielle ». Les décideurs politiques doivent être plus sophistiqués.

« Je n'essaierais pas de réglementer les tracteurs autonomes de la même manière que je réglementerais les véhicules autonomes », déclare Bertolini. « Je pense qu'il y a des différences technologiques, mais aussi des différences objectives : où ces éléments sont-ils utilisés, par qui, et dans quelle mesure l'utilisateur pourrait-il ou devrait-il se perfectionner et être formé, quel est le cadre, quels sont les risques objectifs qui comptent ? Vous ne pouvez pas vous concentrer sur le mot «autonome» et réglementer ces choses de la même manière. »

Prendre en compte la connectivité

Tandis que les agriculteurs et autres professionnels agricoles investissent dans des technologies autonomes, la discussion porte désormais sur la mise en œuvre et non sur la création. Des robots sont déjà disponibles à l'achat, et même si les tracteurs autonomes restent en grande partie au stade du prototype, la technologie est en train de se profiler. Lorsqu'elle verra le jour, les agriculteurs pourraient rencontrer de nouveaux obstacles,parmi lesquels la connectivité, souvent difficile d’accès pour les zones rurales.

« Nous pouvons constater que la connectivité est l'épine dorsale pour soutenir le développement des tracteurs autonomes, et les zones rurales ne sont pas correctement couvertes dans de nombreux endroits », dit Gossard. «C'est un problème pour les agriculteurs, où beaucoup de nouveaux services reposent sur une architecture de communication fiable.

«Qui assume la responsabilité si vous perdez la connectivité?» poursuit-il. «L'OEM sera-t-il capable d'identifier le problème lorsque quelque chose se passe au niveau du tracteur autonome? Cette couverture est vraiment au cœur du débat si l'on veut amener les tracteurs autonomes et la robotique sur le terrain.

Prendre en compte le risque

Il est clair que les technologies agricoles arrivent dans les fermes, et cela est en train de se produire, que les agriculteurs, les décideurs et les fabricants de produits soient préparés ou non à d'éventuelles complications. Pour les producteurs qui ont des difficultés avec la main-d'œuvre, les tracteurs autonomes et les technologies robotiques sont un risque à prendre simplement pour rester en activité à long terme. Cela pose une question intéressante quoique nécessaire: qui est responsable en cas de dysfonctionnement des machines autonomes ?

Selon Bertolini, deux cadres existants peuvent fournir des solutions viables à cette question. Le premier concerne les producteurs de tracteurs autonomes qui certifient et vendent les équipements. En utilisant la réglementation mentionnée par Gossard en matière de sécurité, les producteurs seraient probablement responsables des dysfonctionnements du matériel, des défauts de conception et d'autres problèmes connexes. Le deuxième cadre concerne la responsabilité liée aux dommages causés par les drones.

« Dans de nombreux États membres, c'est l'opérateur qui est responsable », déclare Bertolini. «Il y a le producteur qui produit et vend les drones, et le pilote qui les fait voler. Ensuite, vous pouvez avoir un tiers qui agit en tant qu'opérateur de drone, et cet opérateur pourrait être une entreprise. »

Pensez à une entreprise qui propose des services de photographie par drone. Le propriétaire de l'entreprise a acheté un certain nombre de drones et a engagé des photographes pour les piloter et prendre des images aériennes. Si l'un des photographes faisait accidentellement voler le drone dans un bâtiment et cassait une vitre, l'entreprise serait responsable.

« Dans ce cas, l'opérateur est strictement responsable des dommages liés aux drones, et je pense que cela pourrait être également une solution viable pour les tracteurs autonomes », affirme Bertolini. «Ce serait facilement géré par une couverture d'assurance. L'opérateur prendrait une couverture d'assurance liée aux dommages potentiels, et ce coût pourrait être répercuté sur le client dans le cadre du coût des services. »

Envisager l'avenir

Bien qu'il n'y ait pas de cadre actuel autorisant l'utilisation d'un tracteur autonome, Gossard et Bertolini envisagent un avenir où ces technologies sont répandues. Les agriculteurs qui souhaitent mettre en œuvre de telles machines en toute sécurité et avec succès doivent examiner attentivement les questions juridiques et éthiques. Cela commence par l'écoute des experts de l'industrie et la prise en compte des fabricants d'équipement.

«Les agriculteurs doivent utiliser des équipements conformes à la législation appliquée au niveau national», dit Gossard. «La complexité de la gestion d'un robot ou d'un tracteur sans conducteur dépendra du respect de la réglementation et de la conformité au manuel de l'opérateur fourni par OEM. L'OEM fournira les outils et les solutions conformes aux exigences essentielles de santé et de sécurité, et c'est ce qui sera mis à la disposition des agriculteurs.

Bertolini suggère également de prendre une longueur d'avance, car les règles actuelles concernant les technologies agricoles n'ont pas été créées en pensant aux tracteurs autonomes.

Catégories : #Services
Auteur
  • Karli Petrovic
    Essayiste à KPwrites.com